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vendredi 17 juin 2022

Aux journées annuelles de l’IREM de Lille

 

Ça fait maintenant cinq ans que j’ai migré vers le nord de la France - plus précisément près d’Amiens - alors évidemment je m’y suis fait quelques amis. Tout particulièrement Aziz (El Kacimi) et Valerio (Vassallo) à l’université de Lille et depuis peu François (Recher), directeur de son IREM.

Il était donc assez naturel qu’ils me suggèrent d’y animer un atelier – je devrais dire deux fois le même atelier, une fois le jeudi, l’autre le vendredi. Sauf que ça n’a pas du tout été deux fois le même !

 

Le décor, d’abord :

du soleil, de la verdure, des sourires partout, des gens tranquilles. Un hôtel accueillant à même pas 100 m du bâtiment M1 de l’université, là où se tenaient les conférences et les ateliers.

Le moins tranquille de tous, c’était moi : depuis le début du covid je n’avais pas vu grand monde, je n’avais pris part à aucune conférence, aucun atelier… bien sûr j’avais tenu le stand d’Images des mathématiques aux journées nationales de l’APMEP, à Bourges, l’an dernier et j’y avais présenté mon deuxième livre mais ça n’avait rien à voir avec un exposé !

À Bourges



La soirée du mercredi, je l’ai passée à l’hôtel, à fébrilement finaliser ma présentation du lendemain, à préparer la page-écran sur laquelle je comptais m’appuyer :

(Vous pouvez la retrouver – avec les liens actifs – sur  https://colliard.fr/philippe/Lille)

Oui, ça faisait bien trop pour 1h30 ! Mais je comptais me promener parmi les différents éléments de cette page, choisir au gré de l’instant ceux dont nous parlerions.

 

Mon premier atelier, celui du jeudi, avait lieu l’après-midi ; j’avais donc toute la matinée pour découvrir quelques conférences, en particulier celle de David Bessis, dont j’avais beaucoup aimé le livre, "Mathematica". Bon, conférence est un bien grand mot, il devait s’agir d’une discussion d’une heure, à bâtons rompus, entre Valerio et lui. Elle devait commencer à 10h45 mais comme je n’avais pas réservé de place, je me suis pointé à la porte de l’amphi vers 10h15.

Et puis comme Valerio y était déjà pour une traduction commentée, en italien, d’un de ses textes, je me suis réfugié dans une sorte de micro-cafétéria, un petit hall avec un distributeur de café, confiseries et autres.

 

J’y ai rêvassé seul jusqu’à ce que David y apparaisse, avec une grosse vingtaine de minutes d’avance et nous avons bavardé tous les deux devant un café, comme deux amis… que nous n’étions pas, nous ne nous connaissions pas mais le courant est passé. Nous nous sommes dédicacé nos bouquins mais surtout nous avons parlé d’eux, des difficultés de la conception matérielle d’un livre qui correspondait à ce que nous avions en tête, des heures passées tôt le matin à sa rédaction… 

... et non, ne me faites pas dire ce que je n'essaie absolument pas de dire : contrairement à son "Mathematica", mon petit "Donc, d'après" est loin d'avoir une renommée internationale !

Deux extraits de notre bavardage m’ont marqué, l’un pour la clarté de sa vision immédiate, l’autre pour sa simplicité.

Le premier, lorsque nous parlions de mon axiomatique « impure » mais accessible à des ados : contrairement aux « vraies axiomatiques » (d’Euclide ou de Hilbert) qui définissent point, droite et plan en creux, à travers les propriétés qu’on leur affecte, j’ai cherché à en donner une définition physique.

Impure, évidemment !

David :   comment définis-tu le point ?

moi :      ce n’est évidemment pas une vraie définition, j’essaie juste de le faire « comprendre »… en fait, je définis d’abord un objet imaginaire qui serait le résultat d’une succession de réductions que j’aurais le pouvoir de lui imposer… jusqu’à son implosion. Un « objet ponctuel » !

Ensuite un point est un endroit que seul cet objet implosé peut occuper sans en déborder.

david :   mais alors tu parles déjà de l’infini en sixième – cinquième ?

Moi :     ?????

David :  parce que ton objet ponctuel, c’est un objet-limite ?

moi :      euh… oui. Là tu fais fort, parce que c’est idiot, mais je n’avais pas poussé ma réflexion jusqu’à la formaliser. Pourtant, fondamentalement, mon but est de leur faire « toucher » l’infini. Mais J’avais l’impression de ne le faire qu’un petit peu plus tard, en leur montrant qu’il y avait une infinité de points dans une ligne, même limitée, et aussi bien sûr qu’un petit et un grand segment ont tous les deux autant de points.

        Et c’est vrai qu’il avait fait très fort, je n’avais jamais pensé à voir ma définition sous cet angle.

Et le deuxième extrait, gentiment lapidaire, lorsque je lui ai raconté comment j’avais massacré le théorème de Pythagore dans mon livre (j’en parle ici) et sa réponse superbe, déculpabilisante.

David : personne n’est parfait, et aucun ouvrage non plus,
                     ce n’est pas dramatique !

        Et ça aussi, c’est vrai !

(À propos de ce théorème de Pythagore, j’en aime énormément la démonstration d’Euclide dans son livre 1 (proposition 47), David préfère celle de Polya – une variation d’une autre démonstration par Euclide dans son livre 6 (proposition 31) et qui est ma deuxième préférée. Peut-être y reviendrai-je dans un prochain article)

David et Valerio :



Et maintenant, Les ateliers !

Permettez-moi de passer rapidement sur le premier : après trois années d’interruption involontaire j’ai été subitement repris par un « trac du conférencier » dont je croyais bien m’être débarrassé à jamais. Il m’a fallu plus de la moitié de l’atelier pour commencer à me retrouver.
Une « performance » que je préfère oublier.

(Valerio, qui y assistait, a eu la gentillesse de ne pas en dire de mal… c’est ça, les vrais amis !)


Le deuxième atelier, donc…


J’y ai un peu parlé de moi :

… mes premières années d’enseignement au lycée français d’Ottawa, le livre que j’avais commencé à y écrire, « l’animal mathématique » qui devait reconstruire toutes les mathématiques du secondaire de la sixième à la terminale, à ma façon ! C’était horriblement prétentieux mais bon, j’étais vraiment très très jeune…

… l’inspecteur général à qui, à mon retour en France, j’en avais montré les quelques 100 ou 150 premières pages et dont 40 ans plus tard je garde toujours un souvenir ému : il avait pris le temps de les étudier et me les avait rendues accompagnées d’une lettre de quatre pages où il m’encourageait à continuer, et où, en s’opposant à certaines de mes conceptions, il avait l’humilité de préciser que ce n’était que son opinion et qu’il ne détenait pas la vérité…

… le chamboulement des programmes (oui, déjà !) qui avait tout stoppé, j’avais laissé l’animal mathématique s’endormir. Et heureusement parce que je n’étais vraiment pas prêt ! …

… à mon retour en France, toujours, la certitude que c’est au collège que tout se joue. Avec un début difficile : comme à Ottawa je rédigeais toujours mes propres cours – je me refusais à utiliser des manuels – et j’imposais à mes élèves de n’avoir devant eux qu’un bloc et un stylo. C’était… inhabituel.
Et puis peu à peu j’ai été accepté.

Même si je n’ai pas toujours fait que ça, j’ai enseigné 39 ans dans le même collège. En gros, les 20 premières années j’ai tâtonné, cherché, plus ou moins construit des « maths pour collégien(ne)s », les 10 années suivantes j’ai laissé mûrir dans ma tête l’idée de réveiller l’animal mathématique, mais cette fois-ci plus humblement, un animal centré sur le collège. Les cinq années suivantes, j’en ai écrit la partie géométrique – et non ça ne s’appelait plus l’animal mathématique, mais «… donc, d’après… » : une approche axiomatique de la géométrie, adaptée à des collégien(ne)s.

 

Ça n’avait plus rien à voir avec le premier atelier, je me sentais bien, j’étais heureux d’être là, tou(te)s les participant(e)s souriaient.

 

J’ai pu trouver naturel de leur préciser :

qu’avant d’écrire ce livre j’étais loin de m’y connaître en axiomatique. Comme « tout le monde » j’avais entendu parler d’un truc qu’on appelait souvent le cinquième postulat, mais en réalité, je ne savais pas grand-chose de l’axiomatique d’Euclide, et rien du tout de celle de Hilbert… ou d’ailleurs de celle(s) de Gustave Choquet, que j’avais pourtant eu comme prof en fac et dont ce qu’il racontait sur la topologie m’avait enthousiasmé ;

que je m’étais très tranquillement lancé dans « ma » construction. Ce n’était même pas de l’outrecuidance, il ne me serait jamais venu à l’idée de me comparer à de « vrais » mathématiciens, juste de l’inconscience ! Bon, et tout de même aussi pas mal de réflexion et de ténacité ;

que j’avais fini par construire un plan qui m’avait paru raisonnable… puis à partir de ce plan développé un certain nombre de théorèmes sans qu’ils se mordent la queue ;

que j’avais eu beaucoup mais alors vraiment beaucoup de chance ;

mais qu’évidemment ça m’avait tout de même pris cinq ans.

 

Et puis nous avons parlé de mathématiques…

… du point, pour commencer – ou plus exactement, comme je l’avais dit à David, de l’objet ponctuel. Et je leur ai mimé – en y prenant beaucoup de plaisir – le dialogue d’introduction à la géométrie en quatrième que j’ai reconstruit dans un article récent de ce blog :

un cours, parfois, ça ressemblait à ça ! ...

… des axiomatiques « sérieuses » de la différence entre mes « métaxiomes » et de vrais axiomes – et des raisons pour lesquelles j’avais fait ce choix…

… des notions de ligne et de surface

… de l’idée de l’OLDI (objet linéaire droit illimité), de la droite, du plan (en partant de deux points que je montre « dans l’espace » – et avec une « parenthèse » sur l’importance de travailler en dimension trois, et ma rage contre les logiciels de géométrie qui REMPLACENT la vision)

… du fait que nos concepts mathématiques sont une idéalisation simplifiée de notre univers quotidien (simplifiée et inexacte : classique ou quantique, notre univers physique n’est pas continu)

… d’AUTANT,

d’abord à propos de géométrie (deux segments)

Puis à propos de nombres (Hi-Ati) (en soulignant un lien très fort,
         une tresse géométrie – numérique)…

… de nombres encore, vers les robots :

celui du cycle 3 : apparition d’une (demi-) graduation, passage du « nombre de » au « vrai nombre », vu comme « étiquette » d’un point,

celui du cycle quatre, avec ses améliorations et la suite de la tresse :
         l’appui sur la symétrie centrale

… et enfin de la symétrie centrale elle-même :

d’abord de la camera obscura,

et pour terminer de l’application « les graphes des théorèmes » et de son intérêt pédagogique en profondeur 1, 2 ou 3 (où j’ai découvert que cette application – qui m’avait été offerte par les deux professeurs qui l’avaient conçue pour «… donc, d’après… » disposait d’une fonction « zoom » qui crevait l’écran… mais que depuis quatre ans je n’avais jamais remarquée ! Bon, quand on est mauvais…)

 

(Vous pouvez retrouver le lien des « graphes des théorèmes »
sur
https://donc-dapres.com 
et ceux de tous les autres thèmes de l’atelier
sur
https://colliard.fr/philippe/Lille )

 

Le bonheur, après un premier rodage difficile, d’avoir le sentiment de me retrouver, d’imaginer voir briller les yeux de tou(te)s les participant(e)s à l’atelier… mais peut-être n’était-ce que le soleil qui tapait sous le bon angle ? J’espère que non 😊

 

Pour achever dignement cet article, je ne peux pas résister :

La remise des Palmes académiques à Valerio, par l’IPR Régis Leclercq  (à gauche)
et François Recher… sur fond de la conférence de Patrick Popescu-Pampu !)



Philippe Colliard        philippe@colliard.fr        qui je suis     

 

 

mardi 24 mai 2022

Je vais encore me faire des amis

 


Mes convictions ne sont, comme leur nom l’indique, que des convictions, rien d’autre que mon jeu personnel d’axiomes. Si parfois je semble généraliser, c’est uniquement pour ne pas constamment répéter « pour moi… » : je l’ai déjà dit en beaucoup d’endroits et à de multiples occasions, je ne détiens pas de « vérité absolue » et je conçois tout à fait que d’autres convictions, d’autres fonctionnements dans la vie conviennent… à d’autres. 

Je ne fais pas de prosélytisme, je ne cherche ni à évangéliser ni à convaincre, je respecte nos différences à tous : j’essaie simplement de mettre à la disposition de celles et ceux qui voudraient s’y intéresser les clés de ce qui m’amène à dire ce que je dis, à agir comme je le fais.

 Sans passion je n’aboutis à rien.

 Elle est le fondement de ma vie, ce qui ne veut pas dire qu’elle la justifie, ni qu’elle y suffise : pour paraphraser Georges Brassens, sans travail, la passion n'est rien qu'une sale manie !
(« L'avait l' don, c'est vrai, j'en conviens, l'avait l' génie, mais sans technique, un don n'est rien qu'une sale manie » – G.B. : le mauvais sujet repenti)

 L’enseignement est à l’évidence l’une de mes passions et je suis convaincu qu’elle lui est nécessaire :

 enseigner sans passion c’est, pour faire court, accepter le copié-collé. Si enseigner se résume à suivre un manuel, à en dicter ou en reproduire le cours, à en proposer et à en corriger les exercices associés, la profession d’enseignant est condamnée à court ou moyen terme, l’intelligence artificielle sait ou saura bientôt très bien le faire.

 Est-ce qu’un professeur passionné survivra à l’ère de cette intelligence artificielle ? Je n’en sais évidemment rien, j’ai toutefois deux certitudes :

-          sans cette passion, il n’y survivrait pas

-          avec elle mais sans un énorme travail, il n’y survivra pas non plus.

 Quel travail ?

 Un travail d’appropriation de ce qu’il enseigne :
on ne peut pas enseigner bien ce qu’on connaît mal.

 Un travail de rigueur personnelle :
le « génie fou » peut être un personnage sympathique, mais un enseignement dans la durée suppose de se contraindre à un cadre – certes personnel – strict, construit sur le respect d’un programme d’enseignement et celui d’une évaluation qui permette à chaque élève de s’épanouir.

À chaque élève : l’enseignement – tout au moins l’enseignement public – ne peut pas être restreint à quelques-uns.

 Dans un court article récent, j’ai « parlé » de deux professeurs que je respecte énormément parce qu’ils allient passion et travail. 

Je ne me le cache pas (eux peut-être non plus), d'une certaine façon ils pourraient être dangereux, tout comme j’ai pu l’être :
un regard extérieur rapide sur leur enseignement ne s'intéresserait qu'à leur « originalité », un professeur novice pourrait s’enthousiasmer pour cette originalité et chercher à la copier… sans s’astreindre au travail qu’elle nécessite – et qu’il n’imagine pas.

Mais des professeurs comme ceux-là - il y en a d'autres, bien sûr - sont essentiels : sans eux, la profession de professeur serait condamnée.

 Ce qui ne veut malheureusement pas dire que leur existence suffira à ce qu’elle ne le soit pas.

 À bientôt peut-être ?
et merci d’être fidèle à ce blog !

Philippe Colliard     Qui je suis

PS pour « celles et ceux qui voudraient s’y intéresser » :  

deux des articles que j’ai écrits reviennent sur ma perception de l’enseignement,

le goût des maths  « Images des mathématiques » - CNRS

et la passion d’enseigner… et de partager   « Les chantiers » - APMEP Île-de-France