Cet article est une tentative de mise au point, après mon
article du 1er avril,
Non, je ne crois pas à la fin des profs... En tout cas, pas dans un avenir
proche, et pas au collège !
Mais bien entendu, j'ai peut-être tort, je me laisse peut-être influencer
par mes désirs.
Alors, je vais le présenter autrement :
je ne crois pas à la fin de
l’utilité des profs.
Je ne sais pas ce qui arrivera, mais je suis convaincu qu'instaurer au
collège un enseignement de type « MOOC », privilégiant une relation
élève-ordinateur engendrerait un appauvrissement de notre système d'éducation
et aurait de graves conséquences.
Pourquoi ?
Parce que nous sommes encore très loin de l'intelligence artificielle.
Parce que nos ordinateurs ne sont encore que des machines, nos logiciels
que des programmes !
Parce qu'un adolescent, pour se construire, a besoin d'un environnement
humain, d’adultes avec qui interagir.
Parce que, dans une société où l'on ne l'y contraint pas, un collégien ne
travaille pas pour le travail - en tout cas pas au début : il travaille pour
être reconnu, distingué, apprécié.
Pour se sentir « spécial » aux yeux de ses parents, parfois de ses amis -
et oui, le temps d'une année scolaire, aux yeux de ses profs.
Pour imiter... Et pour plaire. Mais qui cherche à plaire à un ordinateur ?
Et quant à l’imiter : est-ce vraiment le rôle de notre école de produire des
petits robots ? Ne serait-ce pas une fantastique régression ?
Dans l'évolution darwinienne, les « grands singes », qui ont des sentiments
mais peu de logique, n'ont pas fait le poids, face à l'homme. Les ordinateurs,
eux, ont la logique, mais pas les sentiments. Cantonnons-les dans une fonction
qui leur correspond : l'entraînement, les « gammes »... Ne leur confions pas
l'éducation de jeunes humains.
Bien sûr, cela veut dire que nous devons veiller, nous, profs, à nous
différencier de ces machines.
À les utiliser, évidemment - mais à être, nous, bien plus que les simples
gérants de salles multimédia.
Nous devons être à l'écoute de chacun de nos élèves, individuellement,
amener chacun d’eux à dialoguer avec nous sans contrainte, sans gêne, à se
sentir « bien » avec nous.
Il y a de l'apprivoisement derrière tout ça, et la reconnaissance de
l'autre.
Ça ne veut pas du tout dire de la complaisance ou de la démagogie.
Simplement, essayer de faire passer notre passion pour notre discipline en
adaptant notre approche, notre vocabulaire, nos histoires, nos exemples à notre
interlocuteur. En discutant avec eux, avec chacun d'entre eux.
Oui, notre passion. Un ordinateur n'a pas de passion. Il me semble qu'un
prof, si !
Ni complaisance, ni démagogie, ni paternalisme. De l'écoute, du respect.
Même pour les plus insupportables, les plus horripilants de nos élèves. Tout au
fond d'eux-mêmes, il y a toujours cette humanité - même si parfois elle semble
les déranger.
Je ne peux m'exprimer ici qu'à propos des mathématiques au collège et bien
plus strictement encore, qu'à propos des années que j'y ai passées. Et
certainement pas pour proposer une conception révolutionnaire de l'enseignement
: d'une part, je n'ai rien d'un révolutionnaire et d'autre part, si mon
approche a bien fonctionné avec mes élèves, c'est également lié à ma
personnalité... Et nous avons tous, évidemment, des personnalités différentes !
Deux constats, toutefois, me semblent s'imposer :
nos élèves s'ennuient facilement en maths,
et les programmes du collège, sous un verbiage pompeux, n'en exigent plus
grand-chose.
Et il me semble ressentir une sorte de panique dans nos « sphères
supérieures » :
comment redresser la situation, que
faire, que faire ?
Il ne faut pas que les élèves
s'ennuient ?
Faisons du ludique, du moderne, de l'informatique...
Les programmes « passent mal » ?
Simplifions les programmes, sabrons, sabrons...
Mais apprendre n'est pas jouer, et si les jeux informatiques peuvent
passionner les ados, ce n'est pas parce que leur support est un ordi, une
tablette, un portable... C'est parce que ce sont des jeux : ils n'ont aucune
finalité imposée.
Et si, moins les programmes passent, plus on les ampute… Eh bien, moins il
en reste, n'est-ce pas ? Et ça, c'est vraiment un cercle vicieux : moins on en
demande aux élèves, moins on en obtient - mais ce n'est pas proportionnel, pas
du tout !
Pourquoi nos élèves s'ennuient-ils ? S'est-on vraiment posé la question, ou
a-t-on décrété que c'était une question matérielle, et qu'un peu de « modernité
» arrangerait tout ?
Pourquoi les programmes passent-ils mal ? Qui a décrété qu'ils étaient trop
lourds ?
Bon, là, je ne peux évidemment parler que d'après mon expérience. Mais
après tout, n'est-ce pas, je suis un professionnel de l'enseignement !
Je ne crois pas que les programmes soient trop lourds, je pense simplement
qu'on les vide peu à peu de leur substance, qu'il devient difficile de proposer
à nos élèves quelque chose qui se construit, qui prend du sens tout au long de
l'année. Et donc qu'il devient de plus en plus tentant de fragmenter l'année en
séquences hétéroclites de quelques heures : un petit peu de ci cette semaine,
un petit peu de ça cette autre semaine... Allez, on vérifie que les plus
courageux ont suivi, et puis on passe à autre chose, apparemment sans lien.
Et comment nos élèves ne s'ennuieraient-ils pas ?
Demandez à des stagiaires de troisième de trier des os, dans le sous-sol
d'un muséum d'histoire naturelle. Ne croyez-vous pas qu'ils s'y intéresseront plus
vraisemblablement si un paléontologiste passionné les amène à voir dans tous
ces petits os l'ébauche d'un squelette, puis dans ce squelette la charpente
d'un animal disparu, puis dans cet animal les tribulations de son espèce ? Si
ce paléontologiste leur fait revivre la faune d'une époque révolue ?
S'il leur fait percevoir qu’il ne s'agit pas d'une étude académique, que
l'évolution a des conséquences actuelles ?
Nos programmes de mathématiques au collège permettent encore - avec
quelques efforts - de faire quelque chose comme ça. Je ne suis pas sûr que les
prochains programmes le permettront toujours.
Elargir le champ prend du temps.
Mais avec plus de 450 heures de mathématiques en
quatre ans, le temps, on l'a !
À condition de partir lentement, de bien poser les bases. De CONSTRUIRE.
Et (bizarrement ?) les élèves ne semblent pas s'ennuyer - bon, parfois tout
de même ! :)
LES élèves, (presque) tous les élèves. Parce que ce sont des êtres
humains :) ... Et les êtres humains, quand ils peuvent, lorsqu'ils ont le
nez sur un détail d'un tableau, prendre le recul nécessaire pour en avoir une
vue d'ensemble, ça les aide souvent à l'apprécier !
Et là, je reviens à nous, les profs - par opposition à eux, les ordis.
Que pouvons-nous faire pour nos élèves, que les ordi ne savent pas faire ?
Nous pouvons les faire rire, les faire rêver, leur donner ENVIE de
réfléchir, de se sentir intelligents.
Leur communiquer un peu de notre passion.
Oh, bien sûr, l'intelligence artificielle approche. Mais je ne crois
vraiment pas qu’une entité du type de Aivas, dans « All the Weyrs of Pern » de Anne McCaffrey, puisse
voir le jour avant... Disons une bonne cinquantaine d'années. Au moins ! Oui,
ce serait (sera ?) un professeur formidable : une culture et une logique
phénoménales, mais également une immense sensibilité, de la finesse, de
l'humour... Et une patience à toute épreuve !
Mais pour l'instant, et pour encore au moins un demi-siècle, ce que nous
pouvons offrir, nous, les professeurs, aucune machine ne le peut.
(Évidemment, rien ne dit que nos gouvernements partageront mon point de vue).
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Et à bientôt ?
Philippe Colliard