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jeudi 10 décembre 2015

« En cheminant avec Kakeya », Prix Tangente 2015


Le « Prix Tangente 2015 » vient d'être décerné à Vincent Borrelli et à Jean-Luc Rullière, pour leur livre « En cheminant avec Kakeya » (ENS éditions), et je suis très, mais vraiment très heureux du choix du jury. D'une part, parce que Jean-Luc Rullière est à la fois un collègue et un ami de Mathieu Morinière (qui est, lui, l'un de mes plus proches amis, un promoteur acharné de «... Donc, d'après... », et l'autre administrateur de ce blog).
D'autre part parce qu’à sa parution Mathieu avait eu la gentillesse de m'en envoyer un exemplaire, et que nous étions tous deux persuadés que ce livre DEVAIT être le « Tangente 2015 » (bon, il est vrai que, l'an dernier, nous pensions la même chose de mon livre… Mais on ne peut pas avoir toujours tort, n'est-ce pas ?)

http://tropheestangente.com/photos_dossier_de_presse.php

En 1917, le mathématicien japonais Sôichi Kakeya posait une question apparemment anodine :

existe-t-il une plus petite surface (en terme d'aire ) à l'intérieur de laquelle il serait possible de déplacer une aiguille de manière à la retourner complètement ?

La première surface qui vient vraisemblablement à l'esprit est un disque, dont l'aiguille serait un diamètre : en pivotant de 180° autour du centre de ce disque, elle balaie le disque sans jamais en sortir... Et se retourne.

Mais est-ce la plus petite surface ?

Ce n'est qu'en 1928 - 11 ans plus tard – que le mathématicien (russe, celui-là : les mathématiques n'ont pas de frontières) Abram Besicovitch prouva que :

Non : il est possible de retourner une aiguille dans une surface dont l'aire est aussi petite que l'on veut.

Prouva ! Ce n'est pas de la prestidigitation... C'est de la science !

C'est tout le cheminement vers ce théorème de Besicovitch que raconte ce « voyage au cœur des mathématiques » de Vincent Borrelli et Jean-Luc Rullière... Mais pas seulement : si l'aiguille de Kakeya est le fil directeur du livre, elle est également à l'origine de pages limpides sur le calcul différentiel et sur les fractales.

Juste ce qu'il faut pour structurer la pensée de lycéens de terminale ou d'étudiants, pour instiller un peu de piment dans leurs mathématiques, les sortir de la routine... Les inciter à la réflexion, quoi !

Bref, lisez-le :)

Et prenez également le temps de regarder cette vidéo de « Mathologer », qui propose une animation graphique que je trouve merveilleusement claire du « problème de l'aiguille de Kakeya »... En remplaçant l'aiguille par une raclette à vitres (un « squeegee ») qui nettoie parfaitement le terrain :


Merci de votre fidélité à ce blog,
à bientôt,

Philippe Colliard

lundi 16 novembre 2015

Vendredi noir



Je voudrais partager avec vous un texte, que vous avez peut-être déjà lu ailleurs. C'est un simple commentaire, « anonyme », paru dans le New York Times de samedi :


France embodies everything religious zealots everywhere hate. Enjoyment of life here on earth in a myriad little ways: a fragrant cup of coffee and buttery croissant in the morning, beautiful women in short dresses smiling freely on the street, the smell of warm bread, a bottle of wine shared with friends, a dab of perfume, children playing in the Luxembourg Gardens, the right not to believe in any god, not to worry about calories, to flirt and smoke and enjoy sex outside of marriage, to take vacations, to read any book you want, to go to school for free, to play, to laugh, to argue, to make fun of prelates and politicians alike, to leave worrying about the afterlife to the dead.
No country does life on earth better than the French.
Paris, we love you. We cry for you. You are mourning tonight, and we with you. We know you will laugh again, and sing again, and make love, and heal, because loving life is your essence. The forces of darkness will ebb. They will lose. They always do.

(Commentaire lu dans le NYT, signé “Blackpoodles”, de Santa Barbara)

Pour celles et ceux d'entre vous qui ne lisent pas l'anglais, en voici une traduction :

La France représente tout ce que les fanatiques religieux, d’où qu’ils soient, haïssent. Jouir de la vie présente, sur terre, de milliers de petits riens : une tasse d’un café odorant accompagné, le matin, d’un croissant au beurre, de belles femmes en robes courtes qui sourient librement sur leur chemin, l’odeur du pain chaud, une bouteille de vin partagée entre amis, une touche de parfum, des enfants qui jouent au jardin du Luxembourg, le droit de ne croire en aucun dieu, de ne pas s’inquiéter des calories, de flirter et fumer et jouir du sexe hors-mariage, de prendre des vacances, de lire les livres de son choix, d’aller à l’école gratuitement, de jouer, de rire, d’avoir des discussions, de se moquer des prélats comme des politiques, de laisser aux morts les questions sur l’après-vie.
Aucun pays sur terre ne vit sur Terre mieux que les Français.
Paris, nous t’aimons, nous pleurons pour toi. Tu es en deuil ce soir, et nous avec toi. Nous savons que tu riras encore, chanteras encore, feras l’amour, et guériras car aimer la vie est en toi. Les forces des ténèbres reflueront. Elles perdront. Elles perdent toujours.


Mais rien ne ramènera à la vie, à leurs familles, à leurs amis ceux qui, ce vendredi, sont morts.
Alors je pleure pour leur disparition, pour tous ceux qui les connaissaient, les aimaient, et qui ont vécu - qui vivent encore - un cauchemar.

Philippe Colliard

mercredi 11 novembre 2015

Morosité


Il y a des soirs, comme ça, où je trouve le ciel lourd, les nuages inquiétants... Des soirs où mon humeur est particulièrement morose. Des soirs comme celui-ci, où la relecture de « l'enseignement de la géométrie » de Gustave Choquet me ramène plus de 40 ans en arrière, où je retrouve sa conception de l'enseignement... Et ce qu’il en est advenu !

Je ne sais pas si la géométrie fait partie des éléments nécessaires d'une culture bien construite.
Ce que je sais, c'est qu'entre la compréhension qu'en avait un élève de 15 ans raisonnablement attentif en 1975 et celle que peut en avoir un élève du même âge, même très studieux, en 2015... Il y a un gouffre !

Pourquoi ? J'y reviendrai peut-être dans un autre article, si je m'en sens la légitimité. Ce soir, je voudrais juste essayer de vous faire partager ce sentiment de gouffre.

Lisez tout d'abord ce que Gustave Choquet écrivait, en 1964, dans l'introduction à son livre :

Le problème est moins simple aux âges intermédiaires, disons entre 13 et 16 ans.
L'enfant commence à comprendre ce qu'est une démonstration; chez certains s'éveille une véritable soif de logique, indiquant que le temps est venu d'aborder sérieusement le raisonnement déductif. On va donc faire établir par l'enfant des morceaux de raisonnement déductif, en prenant soin de lui faire toujours préciser ses prémisses.
Il est donc indispensable que le maître de ces enfants dispose d'une axiomatique sous-jacente complète. Diverses expériences ont d'ailleurs montré le goût que manifestent certains enfants, pour une axiomatique précise; pour ceux-ci les mathématiques apparaissent comme un jeu aux règles strictes, et ils ont une grande joie à jouer correctement ce jeu.
Il nous faut donc trouver une axiomatique simple, aux axiomes forts, c'est-à-dire donnant très vite accès à des théorèmes non évidents, et intuitifs, c'est-à-dire traduisant des propriétés de l'espace qui nous entoure faciles à vérifier.
Peu importe qu'ils ne soient pas indépendants; mais je ne pense pas qu'il soit désirable, comme l'ont préconisé certains professeurs, de prendre au départ de très nombreux axiomes : le jeu mathématique basé sur trop de règles, devient complexe et prend une allure de fragilité et d'incertitude…

(Cf cette page déjà citée, sur L’enseignement de la géométrie)

Lisez ensuite, si vous le voulez bien, les deux dernières pages (six et sept) du texte sur les axiomatiques de Choquet 
( Donc, d'après - extraits  puis "compléments" ),
où j'ai retranscrit ce qu'il a appelé son axiomatique de la « petite géométrie », c'est-à-dire une axiomatique simplifiée, destinée aux adolescent(e)s.

Lisez... Pour des élèves « raisonnablement attentifs », ces deux pages étaient - en 1975 - sinon limpides, tout au moins parfaitement compréhensibles, et j'ai eu de nombreuses occasions d'en parler à des élèves de seconde, voire de troisième, à cette époque.

Les proposeriez-vous aujourd'hui à la lecture d'un élève de seconde ?

À bientôt peut-être, et de meilleure humeur,

Philippe Colliard

vendredi 6 novembre 2015

Journées de l'APMEP : le compte-rendu de mon atelier

Non, ce n'est pas exactement un nouvel article :)
Ce n'est que la retranscription du compte-rendu que les organisateurs des journées m'ont demandé de leur faire parvenir ! Si vous êtes un(e) lecteur (/trice) habituel(le) de ce blog, vous n'y découvrirez rien de bien nouveau... Vous pouvez le retrouver, au format pdf - ainsi que les comptes-rendus d'autres ateliers - ici :
http://www.jnlaon2015.fr/programme/ateliers.php


D12 :      quelle géométrie pour le collège ?  (Philippe Colliard)

"Il faut mettre Euclide dans une poubelle" (Léo Ferré : Le chien, 1969)…
Prolonger Euclide par une ouverture sur d'autres géométries ? Pourquoi pas ?
Mais... prolonger, pas remplacer : le but du collège et du lycée est d'apprendre à raisonner,
et il n’est pas honteux de le faire sur une axiomatique éprouvée.

Deux précisions :

             à l'origine, il devait s'agir d'un atelier « à deux voix ». Malheureusement, mon compère
             et ami Mathieu Morinière enseigne en Espagne... Et n'était pas encore en vacances le
             jour de l'atelier !

             Ne voulant pas créer de fichier trop lourd, il m'a paru préférable de proposer des liens
             hypertextes, qui ouvrent tous de nouvelles fenêtres.

Cet atelier a son origine dans un article du Professeur Étienne Ghys , publié le 18 février 2015 dans « Images des mathématiques » (revue électronique du CNRS). Son article, volontairement provocateur, avait pour titre : faut-il mettrePythagore dans une poubelle ?
Nombre de commentaires l'ont suivi - dont un de Cédric Villani... Et, plus humblement, deux ou trois de moi.
Cet article a également suscité une réponse indirecte de l’artiste plasticien-mathématicien Pierre Gallais (http://institutdemathologie.free.fr), là encore dans « Images des mathématiques » : Le charme de Pythagore.

Une des questions soulevées par Étienne Ghys était : 

la géométrie du collège est-elle encore adaptée à notre époque ? 

Il y suggérait l'idée de dépasser au collège la géométrie euclidienne,
et de s'intéresser à la notion d’espace métrique hyperbolique, au sens de Gromov.

Derrière les provocations, il y a, me semble-t-il, quelques vérités... Et quelques outrances.

En mars, déjà, j'avais publié une première réaction à son article, ici :

Et puis il m'a semblé que le sujet méritait bien un atelier aux journées de Laon :)

Dans cet atelier, informel, détendu et pourtant passionné, j'ai commencé par rappeler le point de vue de Gustave Choquet - que j'ai eu le bonheur d'avoir comme prof en topologie, en... 1968 :   L’enseignement de la géométrie

Puis nous nous sommes penchés sur ce qu'était un point, et nous avons confronté deux approches différentes : celle de Michel Carral, venu de Toulouse - non, pas seulement pour cet atelier ! - auteur du livre « Géométrie » (chez Ellipse)…
Et, évidemment, la mienne, dans le livre «... Donc, d'après... » :  

« ... Donc, d'après,extraits », puis "Partie 1 : la base de la base" (p.9 et suivantes)"

Michel Carral et moi abordons la géométrie en sens contraire (il part des solides et
« descend » vers le point - je pars du point et « monte » vers les solides...), mais bon, ça reste de la géométrie, n'est-ce pas ?

      (Le point n'est pas nécessairement mathématique. Pause-récréation :  
      Ioran et autres textes, puis : 3chapitres de « Ioran )
                            
Enfin, nous nous sommes intéressés au théorème de Pythagore - et à ses différentes démonstrations, et tout particulièrement,

             d'une part à !’une des façons de le démontrer aux élèves :
                     
    « ébauches,servez-vous »  puis ".Démontrer : l'exemple du théorème de Pythagore"
                      - certainement bien plus artificielle que celle d'Euclide, mais plus rapidement
                          accessible à des collégiens !
                         Pourquoi « plus artificielle » ? Parce que la démonstration d'Euclide part du triangle et des
                                 trois carrés associés et ne les quitte pas des yeux :
                                 on « voit » la réflexion se focaliser sur la hauteur principale du triangle, et progresser... 


             ... Et d'autre part, longuement, aux coulisses de cette démonstration
             - un "détricotage" construit à partir de l'axiomatique de "... Donc, d'après..." :
          « ébauches,servez-vous »  puis  "Architecture du théorème de Pythagore"

Quant à l'ambiance des deux journées, puis-je vous renvoyer ici : 
 APMEP 2015 - deux jours à Laon


N'hésitez évidemment pas à me contacter :   philippe@colliard.fr       

« ... Donc d'après... » Une construction axiomatique de la géométrie au collège : 
                                                vers le livre          vers le blog