Il s'appelle Alexandre Carret,
il enseigne au collège Perrot d'Ablancourt, à Chalons-en-Champagne.
il enseigne au collège Perrot d'Ablancourt, à Chalons-en-Champagne.
Je ne le connais pas, mais nous
appartenons à la même liste de discussions, et je voudrais reproduire ici, naturellement
avec son autorisation, l'essentiel de son dernier message.
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Je viens de vivre un moment fort avec mes deux classes de 5ème :
le but était d'approfondir deux
théorèmes dont nous avions déjà un petit peu parlé.
Théorème
1 : (dessin classique
- deux droites d1 et d2 ; a et b, deux angles alternes-internes définis par ces
deux droites et une sécante).
Si d1 et d2 sont parallèles alors a et b ont la même mesure.
Là, je rappelle : « tout théorème, pour avoir le droit à cette appellation,
doit être démontré ».
Et j'écris donc :
Tollé ! discussion sur ce qu'est une
preuve : « un million de dessins mesurés ne font pas une preuve en
mathématiques ».
Le doute s'installe chez les élèves :
« et
si ce théorème était faux ? »
« C'est
possible », dis-je , « voyons
la suite » !
Et nous passons au deuxième théorème…
Théorème
2 : (dessin
d'un triangle)
Dans un triangle, la somme des mesures
des angles est égale à 180°.
Preuve : je trace un schéma à main levée, donnant la configuration, et je
dis :
« je vais vous démontrer ce théorème sans vraiment dessiner un triangle,
sans connaître la valeur de ses angles, sans mesurer, etc. Juste avec la
puissance de l'esprit. »
« Soit ABC, un triangle. Traçons la parallèle à (AB) passant par C.
D'après le théorème précédent », patati patata.
La preuve les épate. C'est vrai qu'elle
est épatante !
« Mais alors si le théorème
précédent est faux, cette preuve s'écroule ! »
« Oui, mais maintenant que vous avez compris qu'on ne peut démontrer un
théorème qu'en s'appuyant sur un autre théorème, vous voyez le problème :
j'aurais peut-être pu vous donner la preuve du théorème précédent mais
seulement en m'appuyant sur un autre théorème ».
La discussion s'est alors emballée en
considérations de tous ordres :
« Mais alors, il faut faire une
confiance aveugle au premier théorème ! »
« Non. Pas une confiance aveugle. Plutôt se dire : Supposons que ce
premier théorème est vrai, que peut-on construire avec ? Et je vous promets que
l'aventure est merveilleuse. »
« Mais alors, la géométrie, ça
n'existe pas ! »
« Non, ça n'existe pas ! Ce sont des idées que nous manipulons avec
l'esprit ! MAIS ces idées se nourrissent du réel. L'idée du cercle est inspirée
des observations du réel en même temps qu'elle est indispensable pour approcher
le mouvement des planètes. Il est donc important d'étudier l'idée du cercle. Et
c'est le rôle de la géométrie. »
Ici, je leur ai lu la citation de
Galilée au-dessus de mon bureau :
Galilée, dans L'Essayeur (1623):
« La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est
continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le
comprendre si d'abord on n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître
les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage
mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d'autres
figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre un mot.
Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur. »
La discussion a duré encore un bon
moment et j'ai bon espoir qu'elle ait semé des petits bouts de mathématiques
dans certaines têtes.
A suivre ...
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C'est tellement comme ça que je conçois
la géométrie, c'est tellement comme ça que je conçois les dialogues avec mes
élèves que j'avais envie d'applaudir.
C'est dans cet esprit, c'est pour servir
de référence dans ce genre de discussion que j'ai écrit «... Donc, d'après...
». Pour qu'il prenne l'idée à des élèves un peu titillés par un professeur
comme Alexandre d'aller chercher ce livre au CDI, d'y remonter l'arborescence,
la construction d'un théorème. Oh, un seul ! Ce serait déjà fantastique.
(Pour la petite histoire, après avoir lu ce message, j'ai voulu «
déconstruire » son « théorème numéro 2 », dans l'axiomatique de «... Donc,
d'après... »
- comme je l'ai fait dans un article récent pour le théorème de
Pythagore
dans mon livre, le théorème sur la somme des mesures des angles d'un
triangle est le théorème T-35 … Comme il s'agit d'un petit numéro, je me suis
dit que ça allait aller très vite. Eh bien, pas du tout !
T-35 s'appuie sur M-8 et
T-29
T-29 s'appuie sur T-15, T-18 ,
T-23 , T-24 , M-8 à nouveau et D-69.
T-24 s'appuie sur T-15 , T-17 ,
T-23 , M-8 et M-9
T-23 s'appuie sur T-15 et D-69
T-18 s'appuie sur T-10 , T-13 ,
T-14 , T-15 , T-16 , M-13 et D-51
T-17 s'appuie sur T-4 , T-16 et
D-14
T-16 s'appuie sur T-1 , T-15 , M-2
et M-3
T-15 s’appuie sur T-14
T-14 s'appuie sur T-11 et T-13
T-13 s'appuie sur T-11 et D-5
T-11 s'appuie sur T-8 et T-10
T-10 s'appuie sur T-9 , M-15 et
D-69
T-9 s'appuie sur M-3, des théorèmes numériques et D-57
T-8 s'appuie sur M-10 et M-11
T-4 s'appuie sur M-3 et D-14
T-1 s'appuie sur M-1 …
Ouf ! )
Naturellement, il est clair que remonter
l'arborescence de T-35 jusqu'aux « métaxiomes » n'est pas du tout dans l'esprit
de l'enseignement de la géométrie en cinquième...
Et heureusement !
Il est clair également qu’Alexandre, à
juste titre, ne l'a pas tenté. Mais il en a fait découvrir l'existence, et ça,
non seulement ça me paraît accessible à des élèves de cinquième, non seulement
ça les fait réagir, ça les « interpelle », mais ça me semble fondamental.
Alors, encore une fois, merci Alexandre
!
Et merci à vous tous de suivre ce blog comme
vous le faites.
Un rappel (c'est la dernière fois,
promis) :
si vous ne l'avez pas encore fait, rendez-vous sur
Et...VOTEZ ! Il ne reste que trois
jours.
A bientôt,
Philippe Colliard